L’argent, c’est du temps : les Cauris
Histoire des peuples
AuteurBastien Maurell
Bienvenue dans notre hors-série “L’argent c’est du temps”. Dans ce format du SENS, nous explorons l’histoire de différentes monnaies à travers le temps, analysons leurs origines et décryptons ce qu’elles nous racontent sur l’économie telle que nous la connaissons.
La première monnaie du monde
Depuis toujours, la monnaie est au cœur des relations humaines. Comme bien d’autres ressources vitales, elle a déclenché des révoltes, alimenté des guerres, suscité la convoitise… et coulé à flot en période de prospérité. Mais contrairement à l’eau ou à la nourriture, la monnaie n’est pas née avec l’humanité. Elle est apparue progressivement, au fur et à mesure que les sociétés se structuraient en communautés sédentaires, hiérarchisées, interconnectées. Chaque grande civilisation a inventé sa propre forme d’argent. Aujourd’hui, ces monnaies oubliées sont des témoins précieux des empires disparus.
Si l’on ignore exactement où et quand la monnaie (au sens moderne) a vu le jour, les historiens situent ses premières formes en Asie, plus précisément dans la Chine pré-impériale. Entre 1500 et 1000 avant notre ère, un système d’échange basé sur les coquillages Cauris se met en place. Bien sûr, le troc existait déjà dans les petites communautés mais, avec la croissance des populations et la sédentarisation, ce système atteint vite ses limites. Les Cauris, collectés et échangés, deviennent alors la première forme reconnue de monnaie durable, inaugurant les bases d’une économie organisée. Rapidement, l’utilisation de cette monnaie s’étend sur toute la côte d’Asie et même en dehors du continent, atteignant le Moyen-Orient puis l’Afrique.
Lorsque l’argent vient à manquer
Les Cauris étaient principalement des produits issus de la pêche et de l’exploitation des zones côtières. Avec l’extension progressive de l’utilisation de cette monnaie, loin des plages où vivent les Cauris, les coquillages viennent à manquer. Les populations vivant loin des zones de pêche ne peuvent donc se procurer de nouvelles monnaies que via l’échange extérieur, alors très peu développé.
Du côté des peuples vivant près de l’océan, les Cauris se font rares à cause de la surexploitation dont ils sont victimes. Pour pallier à ce problème, à partir de -1 300 avant JC, on taille des Cauris dans des os, voire on en fait frapper dans du bronze. Aillant toujours l’apparence de coquillages, cette monnaie se décline désormais sous plusieurs formes, s’étalant dans un éventail de matériaux dont certains bien plus adaptés au commerce sur de longues distances.
Les coquillages de l’esclavage
Au XVIe siècle, la traite négrière entraîne les Cauris dans un chapitre sombre de leur histoire. A cette époque, ils étaient largement employés par les tribus indigènes d’Afrique du Nord, là où s’étaient installés les colons européens. Alors que la traite négrière s’installe, certains commerçants constatent l’emploi de coquillages comme monnaie d’échange auprès des vendeurs d’esclaves locaux. Un capitaine de navire négrier déclarera « Les Cauris sont pour les Africains l’or des Européens ». Pour les puissances coloniales, les Cauris deviennent alors un moyen d’acheter des esclaves à bas prix avant de les envoyer dans leurs colonies américaines nouvellement fondées.
Comme de nombreuses monnaies, le fort taux de change et l’injection de nouvelles unités vont causer une importante inflation des prix chez les tribus indigènes. En 1724, les négriers achetaient un esclave pour 8 000 Cauris. Ce prix est multiplié par 10 en 1748 avec un pic en 1773 de 192 000 Cauris par esclave. A titre de comparaison, lorsque les colons européens ont investi le marché des Cauris, une poule équivalait à 200 Cauris.
L’épitaphe de la plus vieille monnaie du monde
Les Cauris sont aujourd’hui encore employés par certains groupements africains en tant que monnaie parallèle, le faible intérêt que leur accorde l’économie globale les protégeant de la surinflation connue au XVIIIe siècle. Leur emploi est toujours pratiqué dans certains marchés, même s’ils ne sont plus du tout comparables aux monnaies modernes.
L’histoire des Cauris est une histoire de genèse de l’échange des peuples, elle nous montre comment les hommes de jadis ont su combler leur besoin en faisant évoluer leurs sociétés et leur rapport aux possessions matérielles. Cependant, les Cauris ont également été employés pour commettre des atrocités, prenant notamment part à la traite négrière en servant de monnaie intermédiaire entre marchands d’esclaves.
Malgré leur stature de monnaie ancienne, les Cauris ne sont pas les clés d’une économie plus juste et mieux répartie, contrairement aux préconceptions qu’on pourrait développer. Ils sont un outil d’échange entre différents groupes qui, de tout temps, fut utilisé pour le meilleur comme le pire, à l’image des monnaies qui leur ont succédé.