Bienvenue dans notre hors-série « La Forme du Sensible ». Dans ce tout premier format saisonnier du SENS, nous explorons les sciences de la Terre pour répondre aux questions que chacun pourrait se poser sur l’histoire de notre chère et tendre planète bleue.
Entends les murmures telluriques, cette brise légère dans l’air du temps. Si même les vieux arbres communiquent, pourquoi l’humain hurle-t-il autant ?
La science ne cherche pas à interpréter le monde naturel, mais à décrire la réalité qui nous entoure, à explorer les mystères qui nous intriguent et à formuler des théories sur la nature de ces phénomènes. Elle nous rappelle que notre incapacité à comprendre quelque chose ne signifie pas qu’il est inexplicable.
Par conséquent, la science assemble les faits, tandis que la pensée humaine leur donne des couleurs. Mais encore faut-il savoir sur quel type de page nous nous trouvons. Déchiffrer le mystère du « qui suis-je ? » commence par répondre à la question « où suis-je ? ». Essayons d’y réfléchir ensemble.
Comment dater l’histoire de la vie sur Terre ?
Sous nos pieds, l’histoire de notre planète se dévoile, cachée dans les strates du sol et les formations géologiques que nous foulons chaque jour. Pourtant, nous ignorons souvent les richesses historiques, biologiques et minérales qu’abrite ce patrimoine naturel. Une question se pose alors : comment parvenons-nous à dater les roches et les fossiles enfouis, témoins de périodes si lointaines ? C’est ici que l’interdisciplinarité entre la géologie et d’autres sciences, comme la paléontologie, l’archéologie, la biologie, la physique et la chimie, joue un rôle essentiel.
En croisant leurs approches, ces disciplines permettent de relever ce défi complexe, notamment grâce à deux grandes méthodes de datation complémentaires.
« Le monde est un bout de terrain, où pour trouver ce que l’on veut, il faut gratter le sol avec patience sans que la réussite soit garantie. »
Lao She
La datation relative
L’une des premières méthodes utilisées pour dater le passé est sans aucun doute la datation relative, développée aux XVIIIe et XIXe siècles. Elle repose sur l’étude de l’ordre des couches du sol pour déterminer leur ancienneté respective. Ces couches, appelées strates ou couches stratigraphiques, forment les terrains étudiés. Le terme « stratigraphie » trouve son origine dans le latin stratum, qui signifie « couche », et le grec graphein, qui signifie « écrire ».
Les principes de la stratigraphie
L’étude des strates repose sur quatre principes fondamentaux :
- Principe de superposition : une couche (qu’elle soit sédimentaire, volcanique ou glaciaire) est toujours plus récente que celle qu’elle recouvre et plus ancienne que celle qui se trouve au-dessus d’elle. Ce principe permet d’établir une chronologie relative des événements géologiques.

- Principe d’inclusion : tout objet (qu’il s’agisse d’une roche, d’un minéral ou d’un fossile) inclus dans une autre structure est nécessairement plus ancien que celle-ci. Ce principe permet d’établir l’antériorité d’un élément par rapport à son environnement.

- Principe de continuité : une couche a le même âge sur toute son étendue, sauf si elle est interrompue par une faille ou une érosion.

- Principe de recoupement : une structure qui en traverse une autre est toujours plus récente que celle qu’elle coupe.

- Principe d’identité paléontologique : si deux fossiles provenant de deux sites différents sont identiques, alors ces deux sites ont le même âge géologique.

Bien sûr, ces principes s’appliquent dans la plupart des cas. Cependant, des événements géologiques perturbateurs, comme les failles tectoniques ou les érosions, peuvent altérer l’ordre naturel des couches terrestres et compliquer leur interprétation.
L’âge absolue
Si la datation relative permet de classer les événements chronologiques dans un ordre précis, elle ne fournit pas de dates exactes. Cette limitation a été surmontée grâce à la découverte de la radioactivité en 1896 par le physicien français Henri Becquerel, suivie des travaux révolutionnaires de Marie et Pierre Curie sur ce phénomène.
Ces découvertes, survenues peu après celle des rayons X par Wilhelm Röntgen, ont valu à ces trois chercheurs un prix Nobel, ouvrant ainsi la voie à la géochronologie, également appelée datation absolue. Malgré son coût élevé, cette méthode révolutionnaire continue d’être utilisée pour déterminer avec précision l’âge en années d’échantillons géologiques, biologiques, archéologiques ou historiques.



« Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre. »
Marie Curie
La datation radiométrique
La datation radiométrique est, par définition, une méthode scientifique qui permet de déterminer l’âge exact d’un échantillon, d’un objet ou d’une couche géologique. Elle repose sur la mesure de la décroissance radioactive des isotopes instables contenus dans ces matériaux. Pour bien comprendre ce principe, il faut dans un premier temps maîtriser la notion d’isotope.
Un atome ?
Explorer l’infiniment petit n’est-il pas aussi grandiose que sonder l’Univers ? Aux confins de toute matière se trouve l’atome, constituant fondamental des solides, liquides et gaz. Cette structure sphérique se compose d’un noyau contenant des protons chargés positivement et de neutrons sans charge électrique. En orbite autour du noyau se trouvent des électrons, porteurs d’une charge électrique négative équivalente en nombre à celle des protons.
L’équilibre entre ces trois groupes de particules subatomiques confère à l’atome sa stabilité. Lorsque l’équilibre électronique n’est pas maintenu et qu’il y a une perte ou un gain d’électrons, les éléments concernés se transforme en ions. Ces derniers sont essentiels à la fois pour la conduction de l’électricité dans les liquides et pour de nombreuses réactions chimiques et biologiques. Les atomes peuvent se combiner pour former des molécules, telles que l’eau, composée de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène (H₂O). Lorsque les atomes ne se combinent pas, on dit qu’ils sont isolés.

Exemple
Le silicium, symbolisé par Si et ayant un numéro atomique de 14, possède par conséquent 14 protons dans son noyau. Il a des isotopes courants tels que le silicium-28 (28Si) et le silicium-29 (29Si). Le nombre qui suit le nom de l’isotope représente le total des protons et des neutrons dans le noyau de l’atome. Pour trouver le nombre de neutrons, on soustrait le numéro atomique (nombre de protons) du nombre total de nucléons. Par exemple, pour le silicium-28, il y a 28 nucléons – 14 protons = 14 neutrons. L’atome est donc stable.

Les isotopes
Un isotope est une variation d’un atome ayant le même nombre de protons mais un nombre différent de neutrons. Par exemple, le carbone possède deux isotopes courants : le carbone-12, stable, avec 6 protons et 6 neutrons, et le carbone-14, instable, avec 6 protons et 8 neutrons, qui se désintègre avec le temps. Le nombre de protons, correspondant au numéro atomique d’un élément, reste toujours constant. Pour le carbone, ce numéro est 6.

Certains isotopes, comme le carbone-14, subissent une désintégration radioactive au fil du temps. Leur déséquilibre entre protons et neutrons les pousse à se décomposer continuellement. En mesurant la quantité restante d’isotope instable dans un échantillon et en connaissant son taux de désintégration, les scientifiques peuvent calculer combien de temps s’est écoulé depuis le début de cette décomposition, ce qui permet de déterminer l’âge de l’échantillon.

Le cas du carbone-14
Revenons à l’exemple du carbone-14. Cet élément est présent dans absolument tous les êtres vivants, néanmoins son absorption cesse après leur mort. En mesurant la quantité résiduelle de cet isotope dans un échantillon, les scientifiques peuvent estimer le temps écoulé depuis la mort de l’organisme. Cette méthode permet de dater des échantillons organiques remontant à plusieurs dizaines de milliers d’années.

Cependant, cette méthode a des limites temporelles liées à la demi-vie, qui est le temps nécessaire pour que la moitié d’une substance radioactive se désintègre. Pour le carbone-14, cette durée est d’environ 5730 ans. Au-delà, la quantité d’isotope diminue progressivement, rendant sa mesure de plus en plus difficile et imprécise avec le temps.
Au-delà de 50 000 ans, la quantité de carbone-14 restante devient si faible qu’elle est indétectable avec les méthodes actuelles. Il est donc impossible, dans ce cas, d’estimer l’âge d’un échantillon plus ancien.

Le cas de l’uranium
Nous nous souvenons tous de la scène emblématique des Simpsons où Homer manipule maladroitement une barre verte phosphorescente qui atterrit dans sa poche. Cette barre représente de l’uranium, un métal dense et lourd aux propriétés fascinantes. Malléable et ductile, l’uranium peut être transformé en feuilles fines ou en fils.
Ce métal joue son rôle comme combustible dans les réacteurs nucléaires grâce à son isotope unique fissile, l’uranium-235 (235U). « Fissile » signifie qu’il peut subir une fission nucléaire, un processus où son noyau se divise en deux parties plus légères, libérant une immense quantité d’énergie. Fait notable, c’est grâce à l’uranium qu’Henri Becquerel a découvert la radioactivité.
« L’uranium est la matière première d’une élite qui a pris en otage toutes les créatures vivantes de la Terre. »
Petra Kelly


Une sacrée longévité
L’uranium est l’élément chimique de symbole U et de numéro atomique 92. Il est couramment utilisé dans plusieurs méthodes de datation radiométrique. Sa demi-vie est extrêmement longue, environ 4,5 milliards d’années, ce qui correspond peu ou prou à l’âge de la Terre.
Au fil du temps, l’uranium finit par se désintégrer en une série d’éléments avant de se stabiliser en plomb. Parmi ces méthodes, la datation par uranium-thorium et uranium-plomb est particulièrement prisée par les chercheurs.
Uranium-thorium (U-Th)
Une méthode employée pour déterminer notamment l’âge des coraux, des stalagmites et des stalactites, des coquilles d’œufs et d’escargots, ou encore des cascades.
Elle repose sur l’analyse des rapports isotopiques de l’uranium et du thorium présents dans ces matériaux. Plus spécifiquement, l’uranium-234 se désintègre en thorium-230 avec le temps, suivi par des transformations successives en radium-226 et enfin en plomb-206.
Une approche particulièrement utile pour dater des formations relativement récentes et ainsi couvrir une période allant jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’années.


Uranium-plomb (U-Pb)
Une technique utilisée pour estimer l’âge de divers matériaux géologiques, y compris les météorites, les roches volcaniques et sédimentaires, ainsi que les zircons et les baddeleyites.
Cette méthode repose sur l’analyse des rapports isotopiques de l’uranium et du plomb présents dans ces échantillons. Plus précisément, l’uranium-238 et 235 se désintègre respectivement en plomb-206 et 207 au fil du temps.
La datation par l’uranium-plomb couvre une large gamme temporelle, allant de milliers d’années à plusieurs milliards d’années. Sa polyvalence en fait une méthode indispensable pour explorer une vaste échelle de temps géologique.

Bien sûr, la datation relative et radiométrique ne sont qu’une partie des outils disponibles pour remonter le fil de l’histoire terrestre. Dans notre prochain numéro, nous vous proposerons un panorama complet des techniques, adaptées à diverses échelles de temps et à une grande variété de matériaux…
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